Les droits d’accès à la terre sont reconnus non seulement aux hommes mais aussi aux femmes au terme de la loi n°2018-005 du 14 juin 2018 portant Code foncier et domanial ;  paragraphe 5  ; article 14  «…garantir que les hommes et les femmes jouissent de tous les droits fondamentaux sur un pied d’égalité tout en reconnaissant les différences existant entre les femmes et les hommes et en prenant, si nécessaire, des mesures spécifiques visant à accélérer la réalisation de l’égalité dans la pratique». Mais la réalité n’était pas reluisante pour les femmes désireuses de mettre en valeur des terres quelques années plus tôt. De nos jours, la situation s’améliore progressivement et les femmes laissent éclore leur potentiel en contribuant significativement à l’économie locale.  

La terre est notre maison commune selon le Pape François dans sa lettre  encyclique Laudato Si’ du  24 mai 2015. Au Togo, elle n’appartient pas à l’Etat mais aux collectivités et familles d’après la loi n°2018-005 du14 juin 2018 portant Code foncier et domanial qui stipule en son article 7 que «nul ne peut être contraint de céder sa propriété ou ses droits réels immobiliers, si ce n’est pour la mise en œuvre des politiques de développement ou pour cause d’utilité publique, et moyennant, dans tous les cas, une juste et préalable indemnité». Par ailleurs la constitution togolaise du 14 Octobre 1992 reconnait en son article 11 que «tous les êtres humains sont égaux en dignité et en droit. L’homme et la femme sont égaux devant la loi…». Elle va plus loin en prônant en son article 27 que «le droit de propriété est garanti par la loi. Il ne peut y être porté atteinte que pour cause d’utilité publique légalement constatée et après une juste et préalable indemnisation».

Mais il reste à savoir si ce principe d’égalité est respecté dans tous les domaines. En 2009, une étude sur les politiques foncières et l’accès des femmes à la terre au Togo commanditée par Women In Law and Development  in Africa (WILDAF) branche du Togo indique que les femmes ayant accès à  la terre par héritage représentent 15,2% de la population féminine togolaise ; celles l’ayant par usufruit sont de 48,7% ; par location 76,5% et par achat 15,4%. L’étude a montré que les femmes accèdent à de petites parcelles de terre dont les superficies sont comprises entre 0,25 et 2 ha  qu’elles exploitent dans une certaine insécurité foncière de peur que ces portions leur soient retirées par les hommes. Ce qui ne leur permet pas d’adopter des techniques d’amélioration durables de leur production. Elles se contentent alors de faibles rendements malgré les multiples besoins qu’elles ont à satisfaire. C’est le cas de dame Egli Akouvi, cultivatrice à Gblainvi Zogbédji (Zio) qui raconte : « La terre que je cultive est de 0,5 ha et c’est un terrain familial, mais je ne m’adonne pas aux cultures de rente et aux nouvelles techniques de production car j’ai peur que mes frères viennent retirer la superficie en question puisque c’est ce qui se passait  souvent chez nous ici. Ce qui fait qu’à la fin d’une saison agricole, la quantité des extrants (maïs, haricot, poids d’engoule)  que j’obtiens va de 200 à 280 kg qui constitue un rendement insignifiant pour subvenir aux besoins de ma famille ». Les résultats ont également montré que les femmes ont un accès limité aux crédits agricoles, n’ont pas un accès équitables aux informations sur les nouvelles techniques agricoles et ont des difficultés à adopter les innovations d’intensification agricole susceptibles de les amener à développer des systèmes et des entreprises agricoles durables et compétitifs.

Le Projet EWOH 2 «un seul monde sans faim-Droit des femmes au foncier en Afrique de l’Ouest»  est une initiative spéciale du Ministère Fédéral Allemand de la Coopération Economique et du Développement (BMZ) qui souhaite relever certains des plus grands défis que sont la faim et la malnutrition. A travers ce projet, la Konrad-Adenauer-Stiftung (KAS) a commandité en octobre 2016 une étude sur l’état des lieux de la situation foncière au Togo et la problématique des droits d’accès des femmes à la terre. Il ressort de l’étude que 27,72% de femmes ont accès à la terre par héritage, 81% par usufruit, 60% par location et 26% par achat. Ceci prouve que la situation de l’accès de la femme à la terre a connu des avancées en 2016 par rapport à 2009 avec un gap de 12,52%. La KAS a mené des séries de formation, de renforcement de capacité, de sensibilisation et suscité l’élaboration d’une charte communautaire sur les droits de la femme à la terre, charte qui a été adoptée et signée les 20 et 21 février 2018 à Notsè par des chefs traditionnels, garants des us et coutumes. Par ce document, les signataires se sont engagés à se conformer aux dispositions des textes de lois du pays dans la gestion de la succession et du partage de l’héritage concernant les biens laissés par une défunte ou un défunt. Elle a procédé à l’installation des comités locaux de suivi des problèmes fonciers de la femme (CLSPFF) dans les préfectures couvertes par EWOH 2, comités chargés d’assurer l’accompagnent des femmes dans leur combat quotidien pour accéder à la terre. La KAS a, en collaboration avec WILDAF-Togo, regroupé les femmes agricultrices représentant les organisations paysannes de toutes les régions du Togo lors d’un atelier sur la problématique de l’accès de la femme à la terre au Togo les 23 et 24 Octobre 2018 à Lomé, atelier au cours duquel un document de plaidoyer en vue de l’augmentation des terres cultivables et de l’amélioration des conditions de vie et de travail des agricultrices fut élaboré, adopté et soumis à qui de droit.

L’Etat fait de l’égalité entre l’homme et la femme une préoccupation majeure qui se traduit dans la nouvelle politique foncière du pays. C’est une préoccupation qui se voit à travers les nombreuses mentions faites à la femme et à la fille dans les dispositions de la loi n°2018-005 du    14 juin 2018 portant Code foncier et domanial. Cette loi stipule en son article 8 que «l’Etat et les collectivités territoriales, en tant que garants de l’intérêt général, doivent (…) veiller au respect de l’égalité de l’homme et de la femme dans l’accès au foncier» et elle insiste dans le paragraphe 5 de son article 14 de «…garantir que les hommes et les femmes jouissent de tous les droits fondamentaux sur un pied d’égalité tout en reconnaissant les différences existant entre les femmes et les hommes et en prenant, si nécessaire, des mesures spécifiques visant à accélérer la réalisation de l’égalité dans la pratique, l’Etat doit faire en sorte que les femmes et les filles jouissent de l’égalité des droits fonciers et de l’égalité d’accès aux terres, aux pêches et aux forêts, indépendamment de leur situation au regard de l’état civil ou de leur situation matrimoniale».

Schéma de la situation actuelle

Après plusieurs années de plaidoyers, de mise en vigueur des textes de loi et d’actions intenses des organisations de la société civile, la situation, de nos jours évolue progressivement sur le terrain. Au cours de notre recherche, nous avons interrogé deux cent quarante (240) agricultrices dans les préfectures de Vo, Yoto, Zio (région maritime) ; Bassar, Doufelgou et Kozah (région de la kara) à raison de quarante (40) exploitantes agricoles par préfecture. Les formes d’acquisition de la propriété foncière dans les zones de l’étude se résument en acquisition par succession ou héritage, par location, par l’usufruit et par achat. La figure suivante présente les résultats des entretiens individuels avec les agricultrices sur les modes d’accès à la terre.

.                                     Source: Enquête de terrain,  Alowanou A.   Septembre 2019

Ces données prouvent que l’accession de la femme à la terre par héritage connait une progression ces dernières années comme l’ont témoigné des chefs traditionnels. Kouloun Yoma de Sanda-kagbanda (Bassar)  affirme : «J’avoue que de nos jours, les chefs de collectivités et de familles, les leaders communautaires et les populations sont ouverts et favorables à la question de l’accès des femmes à la terre dans leurs différentes communautés». A Mama  Agbégnigan Ayaba Blitti d’Akladjénou (Yoto) de renchérir : « Dans notre milieu, les problèmes du droit des femmes à la terre ne sont plus brûlants ces derniers temps du fait des actions de plaidoyers et des dialogues communautaires menés par les organisations non gouvernementales au nombre desquelles la Fondation Konrad-Adenauer-Stiftung».   Dame Nikabou Gnamba, agricultrice à Binaparba (Bassar) raconte : « Si je prends mon cas, nous sommes quatre filles et deux garçons pour notre papa. Quand il est décédé en 2017, nos oncles ne voulaient pas donner l’opportunité à nos deux frères de faire un partage équitable. Nous avons amené l’affaire devant le conseil des sages qui a finalement convaincu nos oncles ».  Un partage équitable des biens fut fait en février 2018 et la mise en valeur  de sa parcelle de 2,5ha est en marche avec des cultures mixtes de maïs, mil, sorgho et manioc.

La terre, facteur de production et de réduction de la faim

L’agriculture togolaise emploie près de 70% de la population totale et participe à près de 40% de la richesse nationale (produit intérieur brut : PIB) d’après la Direction des Statistiques agricoles, de l’Informatique et de la Documentation (DSID). Selon les résultats du quatrième recensement national de l’agriculture togolaise, les femmes représentent 51,1% de la population agricole contre 48,9% d’hommes. Elles s’occupent essentiellement des cultures vivrières et sont plus  présentes à tous les niveaux de la chaine de production. Le recensement national de l’agriculture a révélé que les productions vivrières occupent une superficie physique de 1 728 634 ha, soit 50,8% de la superficie cultivable du pays. La même enquête a ressorti que  les superficies physiques mises en valeur par les femmes sont supérieures à celles des hommes et estimées à 899 719 hectares contre 883 366 hectares. Les résultats des entretiens individuels effectués avec les agricultrices montrent que les superficies qu’elles cultivent vont de 1 à 3ha et qu’elles s’adonnent plus aux cultures vivrières comme le montre le tableau suivant.

 Répartition des exploitantes selon les types de produits cultivés

.                                 Source: Enquête de terrain,  Alowanou A.   Septembre 2019

Il ressort de ce tableau statistique que sur les 240 agricultrices abordées, seules 30 soit 12,5%  s’adonnent aux cultures de rente et les 87,5% aux produits vivriers. Beaucoup de femmes ont évoqué les raisons qui les poussent à ne pas trop se donner aux cultures de rente. Pour Adadémé Elise, présidente du groupement féminin agricole Midjranoudo de Kpokpokondji (Yoto), la culture des produits de rente donne plus de difficultés et n’ayant pas la possibilité et les moyens nécessaires, la plupart des exploitantes préfèrent les vivriers. D’ailleurs, le rapport sur les principales caractéristiques de l’agriculture togolaise issues du 4e recensement national de l’agriculture (aout 2014) montre que les pratiques culturales fournissent des niveaux de productivité relativement bas qui ne permettent pas aux paysans de tirer pleinement profit de leur labeur. Ledit rapport révèle de même que le niveau de la valeur de la production à l’hectare est très faible. Il s’établit en moyenne à 400 000 FCFA/ha. Aussi, le problème de métayers se pose. Des jeunes vaillants pouvant aider les femmes dans l’agriculture sont allés en ville pour rechercher de meilleures conditions d’existence. Les femmes expliquent qu’à la fin de chaque saison agricole, une partie des récoltes est destinée à la consommation et le reste à la commercialisation. Les fonds issus de la vente leur permettent de couvrir d’autres besoins comme la santé, l’éducation des enfants,  l’épargne dans les institutions financières etc… Dame Okoumi Mablé, agricultrice à Adangbé (Zio) témoigne : « Le terrain que je cultive a une superficie de 1,5 ha environ. Il y a de cela six mois, j’ai fait un emprunt qui m’a permis de payer une moto que j’ai mis en circulation à Tsévié. Les ristournes que le conducteur  que je tire de la location de cette moto me permettent d’entretenir le champ, de respecter mes échéanciers auprès de la structure de micro finance et de s’occuper d’autres charges de notre famille.».

Dame Okoumi Mablé vendant ses récoltes au marché de zafi le samedi 14/09/2019

L’inclusion financière

«La dure réalité reste que la plupart des populations les plus pauvres n’ont pas encore accès à des services financiers pérennes et viables, qu’il s’agisse d’épargne, de crédit ou d’assurances. L’enjeu essentiel sera donc pour nous d’éliminer les contraintes qui excluent les plus démunies d’une pleine participation au secteur financier…. », déclarait Kofi Annan, ancien Secrétaire Général des Nations Unies, le 29 décembre 2003 suite à la désignation de 2005 comme Année Internationale du Microcrédit.

Au Togo, le gouvernement a pris l’initiative de créer un fonds par décret N°2013-080/PR du 03 décembre 2013 portant création du Fonds National de la Finance Inclusive (FNFI). Ce fonds est une réponse institutionnelle visant à  promouvoir et approfondir les articulations entre les banques et les institutions de micro finance au profit de l’augmentation de l’offre en finance inclusive en faveur des agriculteurs, artisans, femmes, jeunes sans-emplois etc… D’après le service statistique du FNFI, 308.131 agriculteurs et agricultrices ont bénéficié du crédit ‘’Accès des Agriculteurs aux Services Financiers’’ (AGRISEF) de 2015 à 2018,afin d’acquérir des intrants agricoles (engrais, semences),  de la main d’œuvre pour améliorer la pratique de l’agriculture et ainsi améliorer leur productivité et production comme en témoigne dame Afidégnon kpéssi, exploitante agricole à sédomé (Yoto): « J’ai obtenu 100.000 FCFA qui m’ont permis d’acheter quelques intrants et d’agrandir mon champ de 0,5 à 1,8ha.   Je fais la culture du maïs, du soja, du manioc et quelques légumes (gombo, piment vert, aubergine).   Avant j’obtenais à peine 80.000F CFA à la fin de la saison mais avec ce crédit, j’ai obtenu 350.000 F CFA après avoir défalqué les dépenses y afférentes ».

L’autre obstacle  

Dame Sékou afiwa dans son champ de manioc à Hangbankoè (Vo) le mardi 17/09/19

Le fort taux d’analphabétisme des femmes rurales représente également un frein pour leur droit d’accès à l’inclusion financière et aux intrants agricoles. Selon Christoph ADAMADO, chef d’agence préfectorale Yoto de l’Institut de Conseil et d’Appui Technique (ICAT) plusieurs agricultrices hésitent à faire appel aux services d’encadrement du ministère chargé de l’agriculture du simple fait de cette barrière linguistique. Dame Alikizan Essowoè, productrice à Kpèzindè (Kozah) le prouve : «Je n’arrive pas à solliciter les services des techniciens agricoles parce que je me suis dit que comme je ne sais ni lire ni écrire, il se peut qu’en allant chez eux, ils fassent l’entretien avec moi en langue officielle ou me remettre des documents à aller consulter moi-même. C’est pourquoi j’ai jugé mieux de me replier».

Cette enquête été réalisée à la suite d’une subvention octroyée par le Programme Dialogue Politique en Afrique de l’Ouest de la Konrad-Adenauer-Stiftung dans le cadre de la mise du projet de formation et d’appui aux journalistes pour la couverture des questions économiques.

Encadré 01 : La terre, source de production et d’amélioration des conditions de vie des femmes rurales

Dame Adjété Ablagan, exploitante à Dagbati Kpéyidji (Vo) raconte: «J’avais loué 0,3ha que je cultivais avec un rendement faible à la fin de chaque saison agricole. Notre papa était décédé en 2004. Nos frères avaient trainé le partage des biens dans le but d’empêcher les filles à en accéder. En 2018, grâce aux sensibilisations des organisations de la société civile, nous les trois filles n’avions plus hésité à porter l’affaire devant le tribunal de Vogan. Ils ont été amenés à procéder au partage équitable des biens surtout du foncier. J’ai eu 4,5ha de terre. Pour ne pas avoir de problème avec mes frères dans le futur, j’ai vendu ma parcelle pour en acheter ailleurs. De nos jours, j’ai laissé là où j’avais loué pour intensifier mes forces sur ma propre parcelle. Je fais la culture du manioc, coton, soja et niébé. A la fin de la saison, j’ai commercialisé les récoltes. Après avoir défalqué les dépenses effectuées, j’ai eu un bénéfice de 340.000F CFA qui m’ont permis de payer une râpeuse de manioc qui sert pratiquement tout le village.  J’arrive à satisfaire les besoins financiers, alimentaires, scolaires, sanitaires et autres de la famille en collaboration avec mon époux. Tout ceci grâce à la superficie élargie que je cultive»

Encadré 02 : Les crédits agricoles, facteurs de progrès chez les exploitantes au Togo

Dame Kagnassim Akala, productrice à Baga (Doufelgou) parle de son cas : «Je suis bénéficiaire du crédit AGRISEF. J’ai eu 100.000F CFA qui m’ont permis de révolutionner mes travaux agricoles (achat de semences améliorées, de produits phytosanitaires, main d’œuvre) en élargissant la superficie cultivable. Contrairement aux saisons antérieures, j’ai récolté 3,5 tonnes de maïs contre 500Kg sans oublier les autres cultures telles que l’igname, la patate douce, le piment. Je suis divorcée avec cinq enfants et trois autres de ma sœur défunte. Aujourd’hui, ils ne peuvent que se réjouir parce que je subviens fortement à leurs besoins et aux miens. J’ai contribué à hauteur  de 45.000F CFA comme don volontaire pour la couvaison d’un bâtiment scolaire défectueux dans notre école primaire publique. J’avoue que sans ce crédit agricole, je ne pourrais rien gagner dans l’agriculture»

Alain ALOWANOU